Vadim et les autres

Depuis le début de notre voyage, les réactions des gens m’ont toujours fortement étonné. C’est vrai que depuis de longs mois, nous avons eu la tête dans le guidon pour terminer tous les préparatifs. Mais maintenant que nous roulons, je vois les regards se poser sur nous, sur notre camion. Cela a d’abords été discret dans la partie européenne. En Allemagne, un jeune conducteur au volant d’un vieux combi VW jaune (vous vous rappelez, celui conduit par l’aîné de la famille « Huit à la maison » et que tout le monde a rêvé un jour de posséder), me suit un long moment sur l’autoroute. Lors d’une bretelle de sortie, il accélère pour me dépasser et alors qu’il quitte cette autoroute, il klaxonne et lève le pouce en l’air. En Lituanie, les gens regardent passer de manière perplexe le véhicule. Dans les stations d’autoroute où nous nous arrêtons, les professionnels de la route commencent à nous aborder, timidement. Mais c’est en Russie que les routiers vont systématiquement venir nous parler.

Le rituel est identique à chaque fois. D’abord, ils tournent autour de l’engin et surtout regardent au-dessus des roues afin de voir un peu les parties visibles du moteur. Puis, ils nous abordent, et posent les questions, toujours dans le même ordre. A la longue, je connais les phrases russes et les réponses par coeur :

  • Quelles est la marque de la machine ? Deutz Magirus (C’est vrai qu’il n’y a pas de sigle et le modèle n’est pas courant sur les routes ici)
  • Vous venez d’où ? Belgique
  • Vous allez où ? Baikal, Mongolie, Chine, Laos, Cambodge, …

Et tout cela en russe bien évidement. C’est ensuite au tour des conseils et des remarques. On peut distinguer deux catégories de curieux. Ceux intéressés par la mécanique, comme Vadim qui débouche un soir à toute vitesse au volant d’une grosse voiture dans une station-service à côté de nous. Sa musique va si fort que je peine à comprendre ses questions. Il est impressionné par notre périple et tient absolument à me dire son nom avant de repartir aussi vite. Les autres sont plutôt des personnes ayant roulé leur bosse dans l’Est de la Russie et nous donnent quelques conseils (dormez là où il y a des camionneurs, n’allez pas dans les tavernes qui exposent un ours en cage devant leur établissement pour attirer le chaland), ou des considérations générales (« Je viens de Vladivostok et j’effectue le trajet régulier jusqu’à Moscou. La Russie c’est grand ! »).

Tous ces contacts improbables et toujours chaleureux nous confortent dans le choix de notre moyen de locomotion. Il suscite l’intérêt, la perplexité, mais jamais de sentiments négatifs, … jusqu’à présent.

Police

Au volant de notre véhicule, je me serai attendu à être systématiquement arrêté par la police de chaque pays et régulièrement devoir justifier qu’un tel véhicule est bien homologué pour rouler sur la route, qu’il est bien en dessous de 8t pour pouvoir rentrer dans certaines villes, qu’il est possible d’y être à 6, …. Rien de cela n’arriva.

Nous avons bien croisé quelques policiers en Allemagne mais ils semblent habitués au look des Magirus (anciens véhicules de pompier, de l’armée et de la protection civile en Allemagne) pour ne pas s’interroger plus que cela. En Lituanie, une policière effectuant un contrôle de vitesse avec un laser à la main, abaisse doucement son outils en nous voyant passer. Elle semble complètement interloquée et je dois sembler également surpris de sa réaction.

Le passage de la frontière russe nous réserve d’autres surprises. Les douaniers semblent perplexes face à notre engin. Ils vérifient systématiquement les coffres et moteurs de tous les véhicules. Je dois leur faire comprendre que sur mon engin, il n’y a pas de capot pour accéder au moteur mais qu’il faut carrément entrer dedans par-en-dessous. En guise de coffre, j’ouvre la cellule, descend l’escalier et leur propose de monter dedans. A l’intérieur, le plus âgé se retourne vers une jeune douanière et hausse les épaules semblant signifier « Je ne vois pas trop ce que je peux contrôler ici ! ». Je dois maintenant effectuer les formalités administratives. Pendant que je fais la file d’attente, l’ancien douanier s’approche de mon pare-buffle et en éprouvant sa solidité, se retourne vers nous en lançant sans doute une blague. Les gens aux alentours s’esclaffent et je dessine un sourire poli. Décidément, on ne passe pas inaperçus.

Lors de la rédaction du document d’importation du véhicule, l’employé n’arrive pas à décider dans quelle catégorie elle doit le placer. Elle me pose la question de manière un peu excédée en russe. Mais devant mon incompréhension, elle doit se résoudre à appeler son supérieur.

Alors que nous sortons du poste de douane, un orage éclate et une pluie violente s’abat sur nous. Je me trompe de file et passe du côté des poids-lourd qui doivent déclarer des marchandises. Sous la pluie battante, le garde essaye bien de me faire comprendre mon erreur mais alors que je dégouline d’eau, il décide gentiment de m’ouvrir toutes les barrières pour sortir de là. Finalement, après quelques heures, nous sommes entrés en Russie sans trop de difficultés.

Sur la route, dans les premiers jours en Russie, les policiers nous regardent avec la même circonspection (Dois-je les arrêter ? Cela vient de quel pays cela ?). Un courageux finit par nous signaler de nous ranger sur le côté. Alors qu’il arrive à ma hauteur, il me demande les papiers du véhicule. Je lui tends mon certificat d’immatriculation belge. Il le retourne régulièrement sur chaque face et même sur la hauteur (?). Ensuite, comme pour s’échapper du document, il découvre que mes phares sont éteints (en Russie, ils doivent toujours être allumés). Cela lui donne la contenance d’avoir surpris un défaut. Je me lance alors dans une incroyable justification mêlée de français, d’anglais, de gestes et de quelques mots en russe. Je demande à Stéphanie de sortir les myrtilles que je venais d’acheter au bord de la route (et qui m’avait fait oublier de rallumer les phares) et essaye de faire comprendre au policier qu’il ne s’agit que d’un simple oubli. Il me regarde encore plus surpris par mes mimes (c’est vrai que je suis plus fort au Pictionnary) et me signifie de partir, s’interrogeant sans doute sur le rapport qui peut exister entre des phares et un pot de myrtilles.

Plus nous avançons dans l’est du pays, plus les policiers semblent téméraires. Lorsque j’évite le portail de pesée réservé aux poids-lourds transportant des marchandises, je vois le policier au loin lever son bâton afin de m’arrêter. Je me gare sur le côté et lorsqu’il comprend son erreur (et que je ne suis pas concerné par ces portiques), il me demande de repartir sous des formes diverses. J’ai parfois l’impression de les entendre dire en russe : « Cassez-vous maintenant ! ».

Les questions sans réponses en quittant la Russie …

Alors que dans quelques jours, nous allons quitter la Russie, pas définitivement mais pour mieux la retrouver dans quelques mois, de nombreuses questions restent en suspens dans nos esprits. Certaines reçurent des réponses pas vraiment satisfaisantes et je les considère donc encore ouvertes.

  • Pourquoi les maisons traditionnelles russes en bois ont toujours 3 fenêtres sur leur façade ?

C’est vrai que l’occurrence de 3 fenêtres apparait plus souvent statistiquement que les autres configurations. Plusieurs réponses furent évoquées, dont certaines par des vrais non-spécialistes. Je pense sincèrement que la représentation de la Trinité est une interprétation mystique de l’habitat bien farfelue.

  • Pourquoi tant de champignons à vendre au bord des routes ?

Un des passe-temps favori des Russes semble être la « chasse aux champignons ». On ne compte pas les centaines de kilos de seaux présents sur le bord des routes. Cela explique également la propension des Russes à s’habiller avec des vêtements militaires ; il faut être bien camouflé pour surprendre les champignons. Une curiosité consiste à trouver peu de recette de champignons dans les restaurants le long des routes. Mais pourquoi cueillent-ils autant de champignons si ce n’est pour les préparer ?

  • Pourquoi, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Europe (et donc aussi de la Turquie), trouve-t-on de plus en plus de toilettes « à la turc » ?

Ici je n’ai même plus d’hypothèse.

  • Pourquoi les chips en Russie sont parfumées aux goûts les plus bizarres ?

Echalote, écrevisse, champignons des bois, … Pas moyen de trouver un simple sel ou même paprika.

Une petite fierté belge quand même, lorsqu’une bière se revendique de notre tradition.
  • Comment choisit-on de devenir un jour « homme-feu rouge » ?

Sur les routes en travaux, il nous est arrivé plus d’une fois d’être arrêtés non pas par un feu de signalisation classique mais par un « homme-feu ». Celui-ci, assis sur sa chaise toute la journée, en contact radio avec l’autre « homme-feu rouge » à quelques kilomètres de là, dispose de deux drapeaux pour arrêter le trafic. Un jour, un de ces hommes qui devait sans doute s’être endormi d’ennui s’est levé tellement tard, qu’il ne doit sa survie qu’au fait que j’ai de bons réflexes sur les freins.

  • Notre voyage étant placé sous le signe de l’écologie (mise à part notre camion qui consomme 18l/100), nous sommes prêts à tous les sacrifices pour la planète.
  • Une curiosité laissée sur le tableau de notre cuisine lors de la fête de notre départ. Un clin d’oeil à celui qui l’a commise.

 

4 thoughts on “Miscellanea Russia”

  1. J’aimerais beaucoup être là juste pour vous dire bonjour… Et puis goûter aux chips version très spécial et résoudre le problème des champignons… Et pour tellement d’autres choses aussi. Bon voyage ???

  2. J’aime beaucoup l’histoire des myrtilles. Félicitations super chauffeur ! Cela n’a pas dû être évident de vivre tout cela. Bonne continuation à vous et vivement l’apéro de chips étranges pour votre retour.

  3. En lisant vos commentaires j ai l impression d être un peu avec vous ça doit être une expérience terrible gros bisous et bonne route maguy et franco

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