Lorsque nous sommes arrivés au Cambodge début décembre, j’ai raconté aux enfants l’histoire du pays. Très vite, ils ont été touchés par cette tragédie inimaginable qu’est le régime des « Khmers Rouges »! Et ils étaient impatients de découvrir le S21, ancien lycée reconverti en prison sous Pol Pot. Apolline, Alexandre et Angéline voulaient tous les trois faire le reportage pour le blog. Finalement, c’est Apolline qui l’a fait. C’est en effet la seule que nous avons autorisée à tout voir ( ou presque) et à tout entendre ( elle a visité avec un audioguide), accompagnée par sa tante Céline et par moi-même. Nous avons jugé ses frères et soeur trop jeunes pour affronter cette cruauté. Du haut de ses 10 ans, notre fille aînée, son cahier à la main, a fait preuve de beaucoup de courage et d’énormément de maturité pour essayer de comprendre l’incompréhensible et vous en faire le compte-rendu ci-dessous. L’article a été entièrement rédigé par elle. Nous avons ensuite pris un temps de correction pour l’orthographe et pour revoir quelques règles de grammaire et de ponctuation.

Je vous conseille d’écouter aussi sur YouTube, « Bangsokol: a Requiem for Cambodia » et le magnifique « Smot », chant du chagrin, dédié aux morts et aux disparus des années khmères rouges.

Bonne lecture.

Jeudi 1er février 2018 : visite du musée du Génocide, Tuol Sleng.

  • Les Khmers Rouges

Au Cambodge, il y a la plage, la mer, de belles villes, des hôtels chics et des habitants joyeux… mais il y a aussi un autre côté, plus sombre, qui ne s’oublie pas facilement et qui laisse des traces à jamais. Je sais qu’en Belgique, à l’école primaire, on apprend déjà l’histoire de la 2ème guerre mondiale où tant de juifs et d’autres sont morts sans raison , je sais aussi que certains n’ont jamais pardonné aux Allemands de les avoir pris de leur foyer.

Les Cambodgiens furent bien étonnés, eux aussi, quand, en 1975, des soldats vêtus de noir et avec des sandales faites dans des pneus, sont venus les chercher pour leur dire de partir de leur maison car les Américains allaient bombarder Phnom Penh ( la capitale ). Ils leurs disaient que ça ne durerait que 3 jours. Ceux qui ont refusé, ils les ont tués. Beaucoup se sont doutés des horreurs qui allaient se passer et ont su à cet instant qu’il risquaient leur vie. Avant de partir, les Cambodgiens ont pris tous leurs bijoux qui plus tard furent confisqués par les Khmers Rouges car ce fut le nom que se donnaient ses soldats noirs.

  • Le S21

Les Khmers Rouges ont réquisitionné dans Phnom Penh, qui maintenant était vide ,un ancien lycée qu’ils transformèrent en prison et qui est maintenant un musée: il s’appelait le S21.

Je me demande s’ils ont choisi ce lycée parce que les bâtiments étaient pratiques ou bien pour ce que représentait le lycée, un lieu de savoir, d’apprentissage et d’éducation. En effet, ces hommes se méfiaient des gens instruits et le fait de porter des lunettes suffisait pour être condamnés à une mort certaine. Pour éviter les vengeances, lorsqu’ils éliminaient un homme, ils tuaient en même temps toute sa famille.

Ce qui est sûr c’est que ce qui s’est passé est digne d’un vrai cauchemar. Il n’y a pas eu que le S21 comme prison, il y en avait d’autres dans le Kampuchéa démocratique. Et puis, il y avait aussi les « killings cave  » qui veut dire les « grottes tueuses », du haut desquelles on jetait les cadavres et même s’ils n’étaient pas tout à fait morts, ils ne survivaient pas à une telle chute. ( Voir l’article à venir d’Alexandre). Ensuite, ils étaient mangés par les bêtes sauvages.

Au S21, le règlement était strict. Les règles ressemblaient à ça:  » Si tu désobéis à chaque point de mes règlements , tu auras soit dix coups de fouet, soit cinq électrochocs » ou  » Réponds immédiatement à ma question sans prendre le temps de réfléchir  » ou encore  » Pendant la bastonnade ou l’électrochoc, il est interdit de crier fort. « . Ceux qui était détenus au S21 n’étaient pas forcément coupables car les khmers rouges était paranoïaques , ils voyaient des ennemis partout, ils disaient que l’Angkar ne se trompait jamais ( Angkar qui se traduit par: l’organisation ) et que tous ceux qu »ils arrêtaient étaient forcement coupables. Ils parvenaient à leur faire avouer des choses comme par exemple faire partie d’une agence comme la CIA dont les captifs n’avaient encore jamais entendu parler jusqu’alors . Le dirigeant du S21 s’appelle Duch. C’est lui qui sélectionnait les soldats de la prison, il les choisissait avec soin: les recrues étaient des enfants et des adolescents, les plus jeunes ont 8 ans et les plus âgés 20. Il leur apprenaient à se battre et à torturer.

Peinture de Vann Nath représentant Duch.

  • Les survivants

Quand les Vietnamiens sont venus libérer les Cambodgiens , en 1979, ils n’ont trouvé que 7 survivants ( sur les 12 000 au moins qui ont été détenus ici) au S21 dont Vann Nath et Bou Meng qui sont deux peintres qu’ils avaient gardés pour faire des portraits de Pol Pot ( le frère n• 1 c’est-à-dire le dirigeant de l’Angkar ) . Aujourd’hui , il n’y en a plus que deux vivants. Si vous allez faire un tour au musée du génocide, vous pourrez peut-être, comme nous, avoir la chance devrencontrer Bou Meng qui tous les jours revient pour faire œuvre de mémoire et témoigner de ce qu’il a vécu dans ces murs.

  • Message pour l’avenir

Maintenant, vous pouvez vous rendre compte que des milliers de Cambodgiens sont morts sans raison dans des prisons semblables au S21 et à travers tout le pays. Moi je trouve cela horrible que de telles horreurs existent sur terre et que des hommes s’acharnent sur des personnes innocentes. Cela me fait penser aux réfugiés qui fuient leur pays de nos jours, et qui viennent demander asile et se retrouvent face à une frontière fermée, sans issue. À Bruxelles, je sais qu’il y a un Parc où chaque soir, des citoyens viennent chercher des réfugiés pour qu’ils viennent dormir au chaud chez eux.

Je voulais vous partager cette phrase, entendue à la fin de la visite du musée :

 » Vous êtes vous aussi désormais dépositaires de cette mémoire. Racontez autour de vous ce que vous avez entendu ici afin que les générations d’aujourd’hui ou celles de demain s’efforcent de faire triompher partout la dignité humaine, la compassion et la paix.  »

12 thoughts on “Les Côtés sombres du Cambodge”

  1. Merci beaucoup pour ton article, chère Apolline!
    Dans le musée du GULAG à Moscou qui raconte des horreurs semblables commises par Lénine et Staline l’exposition se termine par une phrase de Tvadovskij: « Celui qui ne souvient pas du passé ne s’entendra pas avec le futur ».

  2. Bonjour Apolline,
    Quelle leçon d’histoire !
    Et malheureusement, ce n’est pas le seul endroit où ce genre de faits se sont passés.
    Paul

  3. Merci Apolline, pas évident de réaliser un article de ce genre à ton âge. Merci De leur rendre hommage pour ne pas que oublier ce qui s’est passé.?

  4. Nous avons également visité le S21 mais sans les enfants qui étaient trop petits.
    Merci pour cet article Appoline et bravo pour ton courage. Moi même étant adulte j’ai eu bien du mal à faire cette visite entièrement (notamment dans les pièces restées telle quel avec les photos) mais c’est important d’y aller, de comprendre et de se souvenir pour transmettre les erreurs du passer et construire de nouvelles générations avec plus de compassion.
    Merci Appoline

  5. Merci Apolline. J’admire ton courage et ta maturité d’esprit. Il faudrait plus de jeunes comme toi pour que l’humanité se porte mieux et ne retombe pas encore et encore dans de pareilles horreurs.

  6. Merci Apolline. C’est un très beau reportage et très intéressant. Beau devoir de mémoire.

  7. Un article très intéressant, Apolline ! Tu es déjà une vraie journaliste ! Merci pour ce que tu nous as appris !

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