Pour Vida Movahed, la Fille de la rue de la Révolution.

Pour Fatima.

Pour la libération des Iraniennes et du peuple iranien.

3 juin 2018

L’avion en provenance des Émirats s’apprête à atterrir à Shiraz. Assise entre Apolline et Angéline, je suis tendue, non par rapport à l’atterrissage mais parce que dans quelques minutes je vais devoir porter le voile! C’est une obligation pour toutes les femmes qui foulent le territoire de la République islamique d’Iran. Qu’elles soient iraniennes ou non. Je regarde autour de moi. Certaines femmes portent déjà le hijab mais la plupart comme moi, ont les cheveux libres. Dans quelques minutes, nous allons toutes nous couvrir ! Cette pensée occupe mon esprit depuis un moment et me laisse passablement perplexe. Les femmes qui ont voyagé avant moi en Iran m’ont toutes rapporté le port du voile comme une contrainte folklorique, peut-être un peu désagréable. Personne, à ma connaissance, n’en a fait un état de conscience. Ou alors personne ne m’en a parlé.

L’avion s’est posé et est maintenant immobilisé. Avant de sortir, j’observe les passagères mettre leur voile, dans un geste naturel et désinvolte. Je les imite avec beaucoup moins de naturel et sans aucune désinvolture. Poser cet acte pour moi est presque violent. Une petite fille passe dans l’allée devant nous. Elle doit avoir l’âge d’Angéline, 8 ans tout au plus. Elle porte le hijab, serré autour du visage. Sa mère, derrière elle, porte le tchador traditionnel, noir, couvrant, lugubre à mes yeux d’Occidentale, autour d’un visage doux et d’un sourire lumineux. Contraste.

Selon la loi islamique, à 10 ans et demi, Apolline devrait être voilée! En effet, cela est obligatoire à partir de 9 ans. Je m’y refuse. Son voile est pourtant là à mes pieds dans mon sac . Mais cette petite fille m’a convaincue ! À partir d’aujourd’hui, Apolline a 8 ans et demi. Oui, oui, elle est grande pour son âge ! On revoit à la baisse l’âge des autres. Tout le monde est d’accord. Dans les faits, personne ne nous demandera l’âge d’Apolline.

De l’avis général, le voile me va bien. Et je ne parviens pas à prendre cela comme un compliment tant pour moi, il représente la soumission. Bien entendu, je prends tout cela trop à cœur. Bien entendu. Ainsi suis-je faite. Sans doute ceux qui estiment que le hijab est une manière d’entrer dans la culture iranienne ont-ils en partie raison. Pourtant, le sentiment qui domine chez moi est la honte. Non de le porter mais de ne pas oser l’enlever, en soutien avec les Iraniennes qui ont manifesté malgré la menace d’arrestation.

Moi, je ne risque rien mais je le porte. J’ai l’impression de saboter le combat des Iraniennes qui rêvent de voir l’obligation levée. Car voilà ce qui me dérange dans cette coutume, c’est le fait qu’elle soit imposée ! La femme n’a aucune liberté de le porter ou non. Dès qu’elle met un pied hors de chez elle, elle doit couvrir ses cheveux, ses bras, ses jambes. Parfois même dans sa propre maison, si un homme étranger ( comprendre ici, qui n’appartient pas à la famille) y pénètre. Qu’aucune partie de son corps ne puisse provoquer l’envie ! À mes yeux, cela réduit la femme à son caractère sexuel. Alors lorsque c’est une enfant de 9 ans, 8 ans, parfois encore plus jeune, qui est voilée, cela me semble même tout à fait indécent.

En fait, je ne comprends pas! Quel est le sens d’imposer cela à la moitié de la population, sous prétexte qu’elles sont nées avec la mauvaise paire de chromosomes? Je ne comprends pas ! Alors dans les rues, je m’interroge en regardant les femmes sous le tchador informe, accompagnées de leur mari. Est-ce un choix? De qui? Elle? Lui? La tradition familiale ? Et cette jeune fille qui joue avec la loi, en portant en guise de voile une fine étoffe qui couvre à peine le chignon haut et qui loin de cacher sa beauté la rehausse?! Que pensent ses parents? La soutiennent-ils?! Participe-t-elle aux mercredis blancs?

Ce n’est pas l’Islam qui me déplaît, c’est ce que les hommes en font, ce que le pouvoir en fait.

Mon mélange de sang indien, arabe et mauricien me fait visiblement ressembler à une iranienne. Et souvent mes interlocuteurs sont surpris que je ne comprenne pas le Farsi. Si je porte le voile et des jupes longues , je n’ai par contre aucun vêtement à longues marches (ils sont restés dans le Liber’Thiry). Ainsi, je m’attire souvent des regards surpris, légèrement réprobateurs. Alors, je m’adresse aux enfants en français d’une voix suffisamment forte pour faire comprendre que je suis étrangère; la plupart du temps, les regards sévères s’estompent et les sourires indulgents apparaissent . Parfois des dialogues naissent. Toujours en Farsi dans un premier temps, comme pour vérifier mon origine, ou tout simplement parce que c’est la seule langue parlée.

Ainsi cette femme devant les tombeaux de Darius et Xerxes qui entame la conversation en langage perse. Elle me fait comprendre que je ressemble à une Iranienne. Je sais. Je souris en secouant la tête. Alors elle me dit que mon visage est iranien mais non ma manière de m’habiller.

13 juin

Apolline et moi reprenons l’avion vers la Belgique pour aller passer son CEB ( examen belge de fin de primaire). Dans l’aéroport de Shiraz, devant les portes d’embarquement, une femme du nom de Fatima, vient m’adresser la parole. Elle est de celle qui porte le hijab de manière sévère, pas un cheveu ne dépasse, ses vêtements sont amples. Nous échangeons en anglais les principales informations: d’où venons-nous, où allons-nous, nos prénoms,…

Et puis, elle me demande, l’air de rien, si ce n’est pas trop difficile pour moi de porter l’hijab. J’hésite. Que répondre?! Peut-être appartient-elle à la partie conservatrice de la population?! Ou non… quoique qu’il en soit, j’y vois l’occasion d’ouvrir le débat … et je décide de jouer franc-jeu ! Je lui réponds que cela me dérange moins que je ne l’aurais cru mais je n’en comprends pas le sens.

À ces mots, son visage se ferme et ses traits se durcissent. Je regrette presque d’avoir prononcé ces paroles lorsque elle me dit, en anglais les dents serrées:

– Je le hais! Ce voile, je le hais mais je n’ai pas le choix de le mettre.

Je suis encore plus désemparée par cette réponse. Je me sens profondément peinée pour elle et pour toutes ces femmes contraintes, et je voudrais trouver des mots de réconfort. Mais je suis mal placée, moi qui dans quelques heures, pourrai enlever mon voile. Moi qui dans quelques heures serai libre de circuler habillée comme je le souhaite. Je dis timidement:

– Peut-être un jour. Lorsque le régime changera…

Elle me sourit. Et dans un souffle elle ajoute, comme une prière:

– I hope!

Finalement la conversation s’oriente vers d’autres sujets. Et moi qui attendais avec impatience l’occasion de parler du port du voile, je suis soulagée du changement de sujet, tant sa détresse et sa révolte contenue m’ont touchée et me font me sentir impuissante et privilégiée.

24 juin 2018 – Retour en Iran

Le CEB terminé, Apolline et moi reprenons l’avion à Charleroi pour regagner Téhéran par Istanbul. Vincent, pendant ce temps, a bataillé à Bander Abbas pour récupérer notre camion que les Indiens ne voulaient pas lâcher. Comme je le lui ai promis, Apolline et moi traînons un peu à la librairie Club de l’aéroport, en quête de littérature en langue française! Apolline a le droit de choisir un roman…Finalement, elle en prendra deux : un tome de Lili Goth et Nos étoiles contraires. Juste de quoi s’occuper pendant notre long voyage pour rejoindre Vincent à Shiraz. Et moi, je m’achète le roman de Michel Houellebecq Soumission. Je n’ai jamais eu envie de lire cet auteur car le personnage dont j’avais lu plusieurs interviews me déplaît ainsi que ses idées. Mais ce roman a été évoqué par quelqu’un lors de nos dix premiers jours en Iran, et la curiosité est trop forte. Je le lis dans l’avion vers Istanbul, durant l’attente et dans le deuxième vol pour Téhéran. Je le termine quelques minutes avant de devoir remettre ce satané voile. En refermant le roman, un sentiment de malaise explose en moi qui n’a cessé de croître au fil des pages. Car le roman n’est pas dénué de certaines vérités dérangeantes à mes yeux. La France du livre à des points communs notables avec l’Iran. L’Islam du roman ressemble beaucoup à l’Islam des Mollahs ! Mais il y a autre chose qui me dérange. Il me faut un moment pour mettre le doigt dessus : sa description de la femme, soumise, voilée, sans consistance, presque satisfaite de son sort, de la régression de ses droits, préjuge d’une méconnaissance des femmes, de la Femme en général. Des femmes iraniennes en particulier! La révolution , en Iran, viendra aussi de ces dernières. Et sous l’apparence de la soumission, beaucoup d’entre elles ne cessent de rêver à leur liberté et à œuvrer pour cela. Voilà les idées qui m’agitent lorsque l’avion touche le sol iranien et ma répugnance est à son paroxysme lorsque, comme toutes les femmes qui m’entourent, je couvre ma tête et mes bras (j’ai emprunté deux t-shirts longues manches à ma maman).

Durant ce second séjour en Iran, j’ai la confirmation d’une réelle volonté de se libérer de cette condition féminine dont le voile est le symbole. À l’instar de Fatima, plusieurs jeunes filles ont osé me questionner sur mon avis concernant le voile, et elle m’ont confié qu’elles rêvaient en être débarrassées. Et les rares fois où j’ai osé enlever le hijab et me promener en t-shirt, j’ai souvent croisé des sourires d’approbation de la part des femmes ( nettement moins de la part des hommes).

À la mer Caspienne, sur la plage, les femmes doivent toujours porter le hijab et des vêtements sans forme qui couvrent bras et jambes. Si elles désirent se baigner, c’est ainsi accoutrées. Certains hommes sont carrément en slip. Je regarde les enfants se baigner. Il a fallu convaincre Apolline de se mette en maillot, les jeunes filles de son âge sont toute habillées dans l’eau.

Des jeunes hommes s’arrêtent à ma hauteur pour entamer le dialogue. Et ils en viennent à me demander pourquoi je ne me baigne pas. Je leur réponds qu’il est hors de question que je nage toute habillée. Ils rient à moitié et me disent d’un ton d’excuse:

– C’est la République islamique.

– Je sais. C’est ainsi! J’attendrai la Turquie…

Ils m’informent- presque fiers- qu’un bassin est en construction à une centaine de mètres de là. Cela sera prêt dans dix jours. Les femmes pourront s’y baigner à l’abri des regards. En effet, de là où je suis, je peux apercevoir des tiges de bois et des rideaux qui pendent sur l’eau. Je ne sais pas si je dois rire. Je m’abstiens de tout commentaire.

Dans la dernière semaine en Iran, je porte de moins en moins le hijab. Un seul homme fera la remarque à Vincent, sans même me regarder.

– Ta femme n’a pas mis son voile.

Pour éviter les discussions, je le porte le temps de passer devant lui et puis je l’enlève. Les enfants ont peur pour moi, ils craignent que je sois arrêtée.

– Maman, remets ton voile! , me souffle Alex, un accent de panique dans la voix.

Mais, moi, je ne crains rien. Les Iraniennes, elles, c’est une toute autre histoire..

Étrange. Plus je passe de temps en Iran, plus j’apprécie ses paysages et sa population et moins je supporte de voir des femmes voilées. En fait, j’avoue, j’ai hâte de quitter l’Iran. Et j’ai hâte d’y revenir aussi dans quelques années quand la situation politique aura changé.

7 juillet

Nous passons la frontière Irano-turcque. Pour moi, le hijab, c’est fini et j’en éprouve un réel soulagement. Et ce n’est rien en comparaison à ce que ressentiront les Iraniennes, le jour où le régime tombera et le voile avec…

Bientôt!

I hope!

6 thoughts on “Le voile, les Iraniennes, Michel Houellebecq et moi”

  1. J’ai hâte de lire le livre que tu vas faire de tous les « papiers » écrits lors de votre voyage

  2. Au village où j’ai vécu gamin, il n’était pas rare de croiser des femmes portant un voile sur les cheveux, mais elles le faisaient librement. Je suis content d’avoir lu le compte rendu de la conversation avec cette femme qui hait le voile qu’elle est obligée de porter.
    Hope……

  3. C’est vrai : le voile te va très bien. Il met en valeur tes yeux et la douceur de ton visage.
    Un rien t’habille.
    Eveline

  4. Ton récit est très touchant. J’espère aussi que la situation va évoluer là-bas.
    Et pour ta fête de retour : une soirée « hommes voilés » ? ; )

  5. J’aime tellement te lire… j’espere Qu’un jour un livre sortira de ce voyage! Des bises à tous!!!

  6. Steph, il est beau et sincère ton article… si tu veux avoir le sentiment que ton point de vue est partagé, lis mes posts sur l’Iran :)), ce pays que l’on a tant aimé, 2 fois et d’autres encore dans le futur pour sa culture, sa beauté et son peuple. J’ai sans doute vécu les choses un peu plus légèrement que toi au début car j’intellectualise peut-être moins, mais il ne se passe pas un jour pas une minute sans que le sujet du hijab se pose pour celle qui le porte, et pas seulement pour nous occidentales…

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