4/11/2017

La jungle nous cerne de tous les côtés ! Sur la route qui va de Luang Namtha à Oudomxay, le paysage se laisse admirer sur la route qui ondule à travers les arbres et les plantes couverts de poussière. La végétation a tout envahi, reprenant même ses droits parfois sur la route que nous empruntons, faible obstacle humain à la luxuriante conquérante qui nous domine et nous encercle. Au fond d’une vallée, la rivière glisse presque incognito. Je l’observe par ma vitre ouverte. Le décor est moins sublime qu’impressionnant, tant le désordre règne partout, y compris dans les villages aux maisons de bois, plantées au petit bonheur la chance le long de la route. Soit nous longeons un ravin, nos regards plongeant vers les abysses de touffes entremêlées; soit nous serpentons du côté de la colline et le véritable talent est d’éviter les branches et les lianes, les premières étant évidemment beaucoup plus dangereuses que les secondes. Il fait nuit. Pourtant, cela avait été dit et redit, ça :  » on ne roule plus de nuit!!! ». Il me semble même que c’était hier à peine que la question avait été encore débattue avec au final le même consensus. Il y a plein de bonnes raisons à cela: nous n’avons plus de feux stop depuis la Mongolie, nos phares éclairent avec une conviction toute relative et là, la route est pourrie et empruntée par quantité de camions qui concourent tous pour le titre du pire chauffard ( on a d’ailleurs trouvé un gagnant qui a réussi à mettre dans le fossé un véhicule motorisé laotien). Bref, on  le sait: il ne faut plus rouler de nuit. Pourtant, là, il fait nuit et on roule. Ça s’est mal goupillé… Il est à peine 19h mais le ciel s’est assombri, il y a une heure environ. Vincent est tendu sur son volant, ses yeux à l’affût du moindre obstacle tapi dans les ténèbres. Nous avons quitté Muang Sing ce matin, célèbre pour son festival de la pleine lune de novembre … que nous avons loupé à un jour près… Ce matin, nous avons dit au revoir aux Bouteiller et aux Jacopin avec lesquels nous avons traversé la Chine. La veille, nous avions déjà dit au revoir aux Hacquart, une des familles du convoi chinois. Avec la promesse de se recroiser bientôt ici ou ailleurs. Encore de superbes rencontres… et aujourd’hui, nous sommes de nouveau à six…

Après 24 jours passés ensemble, il est temps de se dire au revoir.
La végétation rougie par la poussière sur la route venant de Muang Sing

La route se torsade et dessine sur le GPS des lacets aux courbes artistiques. Plus tôt dans la journée, nous avons dû nous arrêter en urgence, Alex au bord de la nausée. Le village était mignon et possédait un petit supermarché pour le ravitaillement mais Vincent a préféré abattre encore qqs kilomètres, entamant une course contre la nuit, perdue d’avance. Alex voyage devant avec nous ( depuis la Chine, nous avons laissé tomber les ceintures de sécurité, comme les locaux).

– Papa , tout va bien avec le camion? Sa voix est angoissée.

C’est vrai que Vincent n’arrête pas de pomper sur les freins et cela ne rassure pas.

– Oui, oui, mon grand!

La descente, renseignée par un panneau, s’annonce raide. Vincent scrute toujours l’obscurité , le pied sur la pédale de frein. Nous ne sommes plus qu’à 15 kilomètres de Oudomxai, notre halte de ce jour, avant de reprendre la route demain pour Luang Prabang. Soudain, mon regard s’arrête sur la main droite de Vincent. Je reste interdite, incapable de comprendre ce que je vois et je constate sans expression particulière :

– Tu tires le frein à main?!

Le camion ne ralentit pas vite. Il lui faut beaucoup de temps pour s’arrêter. Heureusement, la pente est terminée. Nous sommes à l’entrée d’un village. Au milieu de la route.

– On n’a plus de freins.

Vincent ne me regarde pas lorsqu’il prononce cette phrase, et son ton n’est pas différent de celui qu’il aurait adopté en disant :  » J’ai envie de nouilles, pas toi? » Nous sommes en face d’une aire boueuse pour camions et il manœuvre avec précaution pour nous y mettre à l’abri ! Il freine de nouveau au frein à main . Nous ne sommes pas très bien garés mais avec pour seul frein, le frein à main, on ne peut faire mieux. Nous conduisons un poids lourd tout de même !

Un homme auquel nous expliquons tant bien que mal la situation , nous autorise à dormir là. D’un commun accord, Vincent et moi décidons de ne plus nous tracasser pour la journée. On ne peut plus rien.

Et nous sommes vivants !

Certains se diront , en lisant ces lignes, que nous manquons de chance avec le Liber’Thiry ( et encore, vous n’êtes pas au courant de l’état de nos pneus). Moi, ce soir, je nous sens tellement chanceux. Si les freins avait lâchés plus tôt ou plus tard, près d’un précipice ou lorsque nous suivions une mobylette ou des piétons, nous aurions pu tuer quelqu’un ou simplement mourir.

Et nous sommes vivants.

Je chéris mon homme et mes enfants, et la Providence aussi. Je sombre dans le sommeil plus reconnaissante qu’angoissée.

5/11/2017

Malgré mon attitude zen de la veille, ma nuit fut peuplée de cauchemars, entrecoupés par le bruit des camions dévalant à toute vitesse la colline ou se garant à nos côtés, le temps de faire refroidir leurs freins.

Avant de déjeuner, Vincent inspecte le camion pour situer le problème. Le réservoir contenant le liquide de frein est tout à fait vide. C’est certain, il y a une fuite et Vincent la repère au niveau de la roue arrière droite. Pfff. Bon, il va falloir trouver un mécano pour nous réparer cela. Sans perdre de temps, le café à peine bu, Vincent prend la route pour Oumdoxai à 15 km de notre parking de fortune. Je reste au camion avec les 4 A’s. Dans la matinée, nous décidons d’explorer le village tout proche. Les trottoirs n’existent pas et les voitures et camions se croisent de très très près. Les enfants marchent en file indienne, en se tenant prêts à sauter dans le fossé à la moindre alerte de ma part. Le village ressemble à ceux déjà traversés : des maisons en bois, certaines sur pilotis, des toits de paille, des motos garées devant, des tas d’ordures ici et là, que l’on fait brûler de temps en temps. La chaleur monte vite et nous faisons une halte pour nous désaltérer dans le café qui marque la fin du petit bled. Installé sur pilotis lui aussi, on y accède par un escalier de bois. L’ensemble est ouvert sur la route, la musique laotienne ou chinoise, légèrement guimauve crie dans les baffles ce que j’imagine être des chansons d’amour, et contredit l’aspect pittoresque des lieux ou le renforce – difficile de trancher. Nous sommes accueillis avec beaucoup de gentillesse par une jeune femme chinoise. A une autre table, trois jeunes laotiens sont assis et entament rapidement la conversation, dans un anglais très rudimentaire. Ils me donnent le mot de passe du Wifi. Je parviens à expliquer notre situation en utilisant un anglais basique, un peu « Google translate » anglais-lao (ils n’ont jamais compris ce que google translate traduisait) et bien entendu mes habituels mimes. Cette fois-ci, il s’agit de mimer un camion qui descend à toute vitesse une pente et qui n’a pas de frein. Je vous laisse imaginer la scène.

  • Maman, tu te ridiculises là, grommelle Alex entre ses dents, soutenu dans sa honte par les mouvements de tête sans équivoque d’Apolline.
  • Mais non, mon loulou. Le ridicule, ce serait de ne pas communiquer sous prétexte que nous n’avons pas la même langue.

Moue dubitative de mes deux aînés.

La tenancière de l’établissement s’extasie particulièrement sur Apolline, qu’elle trouve très belle, ses yeux bleus et ses cheveux blonds, du jamais vus dans la région, attirent moult compliments.

  • You are beautiful, dit-elle tout en caressant les boucles d’Apolline.
  • Oui, je sais, ça fait 6 fois qu’elle le dit.

Apolline fait un pas de côté pour échapper aux mains de la jeune chinoise, qui ne semble rien remarquer et qui continue de lui caresser les cheveux. Elle lui enlève même ses lunettes et tombe en pâmoison devant ses yeux bleus. Puis, prise d’un doute, elle vérifie les miens et je vois l’incompréhension dans son regard. Comment une mère aux yeux bruns peut-elle faire une fille aux yeux bleus ? Bon, on n’a pas le temps pour un cours de génétique en lao, surtout en l’absence du père qui pourrait clarifier la situation. Je mime seulement que c’est bien ma fille, en frappant ma poitrine, à la manière d’une maman singe. Nouveaux regards gênés de mes enfants.

Et la Chinoise de conclure, en s’adressant à Apolline :

  • You are beautilful.
  • Ça fait 7 fois, maintenant.
En file indienne
Ambiance de café

Je profite de la connexion Internet pour appeler Vincent qui est toujours à la recherche d’un garage.

Nous rentrons vers le camion, avec en cadeau des bambous, offerts par une vieille dame et des haricots offerts par un couple laotien qui se dirige vers la Chine et qui ont  la gentillesse de me couper le bambou car je n’ai pas d’outils assez tranchants pour cela. Je prépare ainsi le repas. Ensuite, les enfants font la vaisselle et nous entamons la lessive un peu pour passer le temps, un peu parce que cela devient urgent. Enfin, Alex, Angie et moi remplissons les réservoirs d’eau avec les tuyaux mis à disposition.

Vincent arrive à ce moment-là dans une Toyota Hilux flambant neuve, accompagné par deux hommes. Ceux-ci repèrent assez vite le problème et l’un des deux fait l’aller-retour vers la ville pour aller chercher un nouveau tuyau, en remplacement de celui qui a cédé. En fin d’après-midi, la réparation est terminée et après quelques essais, nous gagnons la ville d’Oudomxai à la nuit tombée (Pourtant, on l’a déjà dit, ça, il me semble : ON NE VEUT PLUS CONDUIRE DE NUIT !). On s’arrête dans un Fast-food, genre Kentucky Fried Chicken mais version chinoise, pour faire plaisir aux enfants ; ces mêmes enfants qui ne mangent absolument rien car la sauce des hamburgers est trop pimentée, les nuggets ont un drôle de goût et les frites sont tout simplement « bof ». Par contre, ils regardent avec passion un téléfilm chinois sous-titré chinois, sur l’écran à droite du comptoir. Vincent et moi finissons par doubler à voix haute cette improbable fiction aux effets spéciaux venus d’un autre âge, pour le plus grand plaisir des enfants qui en redemandent.

Demain, nous nous dirigerons vers Luang Prabang, et nous serons prudents… Promis !

Pfff! Pas encore la lessive…
Le camion immobilisé, faute de freins.
Le matériel nécessaire pour couper le bambou…
Muang Sing
Alors, verdict? Non, j’aime pas le lait de coco.
Apolline fait son marché avec beaucoup d’aisance: citrons verts et tomates.
Petit marché de Luang Namtha
On nous offre des haricots et les enfants se régalent

8 thoughts on “Laos,  en roues libres …”

  1. Je ne sais même pas comment commenter…
    Entre l’admiratif, le « il faut vous enfermer » et le « je voudrais être avec vous »…
    Mais vous continuez à nous faire rêver!
    Plein de bisouxxxxx!!!

    1. Ma première réaction a été la suivante : « On vient vous chercher sur-le-champ, on vous attrape par la peau des fesses et on vous ramène en Belgique ». Oui, je sais, je réagis en mode mummy là 🙂
      Mais au fond de moi, je crois en votre incroyable chance, continuez comme ça dans cette FOLLE aventure 🙂
      On vous aime fort <3
      Soyez prudents quand même, hein !
      P.S. : J'ai beaucoup aimé la partie sur Apolline, ça m'a bien fait rire ! Si elle continue comme ça, elle va rentrer avec un petit ami laotien.

  2. Super je suis avec vous depuis le début,
    je cherche tous les jours de vos nouvelles .
    c’est super.
    Profitez les p’tits loups.
    revenez avec plein, mais alors plein de souvenirs?
    el jpnos le oufti qui vous accompagne

  3. Il n’y a vraiment pas de frein à vos aventures…. mais c’est chaud tout de même !
    Prenez bien soin de vous ! D’ici, je vous envoie plein de pensées positives ! : )
    Philippe

  4. Heps,

    J’oscille entre le mode « mummy » et le mode « la vie est belle ».

    😉

    Anne

  5. No comments…
    Les problèmes solutionnés, ça met du bonheur dans les souvenirs.

  6. Ça c’est de l’aventure! Et cette fois, je vous interdis de voyager de nuit! Bon d’accord c’est facile à dire. Prenez soin de vous.

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