Il a 11 ans et habite sur Don Khong. Tous les jours, il passe seul ou accompagné de ses copains sur l’étroit sentier de terre qui longe le Mékong et qui le mène à son établissement scolaire. Il a la tenue des écoliers laos, le pantalon sombre et la chemise blanche réglementaires. À la différence de ses amis, il porte aussi un petit foulard rouge sur sa chemise. Voilà 4 jours que nous sommes arrivés sur l’île de Khong ( la plus grande des 4000 îles) et c’est sur ce sentier que nous avons établi notre spot. Alors, inévitablement, nous avons fait la connaissance de Go. Il a un sourire timide mais suffisamment de bravoure pour venir nous poser la question : where you come from? Belgium. La réponse le laisse perplexe. Il sourit poliment, ses copains échangent des regards interrogatifs. Je clique sur l’application Google Map (que j’utilise régulièrement à cette fin) pour leur montrer d’où on vient et par où nous sommes passés pour arriver là ?! À son regard émerveillé qui va du camion à la carte du monde, je sais qu’il a compris. Il enchaîne : what’s your name? Nous faisons les présentations. À ce moment-là, j’ignore qu’il vient d’épuiser tout ce qu’il connaît d’anglais. Lorsque j’essaie de savoir son âge et celui de ses copains, nous sommes obligés de passer au mime ( sans succès) et puis à Google translate. Tous trois approchent et lisent à voix haute ce que l’écran affiche. Leur lecture est hésitante mais ils comprennent le sens et affichent avec leur doigts le nombre que j’avais déjà deviné. Go a 11 ans et ses deux amis 10 Ans.

– Ma fille qui lit dans le camion a dix ans , elle aussi, tapé-je sur mon clavier.

Ils passent tous les trois la tête pour découvrir Apolline qui quitte son livre, juste le temps de les saluer joyeusement !

– Her name is Apolline

Go répète « Apolline ». Il est conquis par le prénom, par la jolie fille qui le porte ou par l’exotisme de la situation. « Apolline », dit-il encore.

Ce jour-là, Go et Lin reviendront à chaque moment libre de leur journée :la récréation du matin, le temps de midi, l’après-quatre-heures. Ils restent là, accompagnateurs souvent muets de notre quotidien. Go n’a d’yeux que pour Apolline qui lit, qui se brosse les dents, qui joue. Elle est loin d’être indifférente. J’assiste à cette idylle tacite et je m’en émeus.

Aujourd’hui, nous devons quitter précipitamment l’île pour traverser la frontière cambodgienne. Lorsque Go vient nous faire son salut habituel, je lui dis que nous devons partir. Une ombre passe dans ses yeux. Nous faisons une photo pour immortaliser cette rencontre. Une photo avec Apolline, bien sûr. Il se tient bien droit et sourit à peine. Mais lorsque je lui montre le résultat, il affiche son contentement en levant le pouce. Il revient un peu plus tard, accompagné de trois copains dont Lin. Aurélien est en train d’écouter son livre « Tonnerre de Prouts », livre illustré et sonore. À chaque fois qu’un pet se fait entendre, les 4 écoliers rient de bon cœur. Mes enfants rient de les voir rire. Enfin, nous leur proposons de faire un dessin dans les carnets des enfants. Ils se poussent tous du coude, mais n’osent franchir le cap. Leur conversation doit ressembler à : vas-y , toi! – non, je ne sais pas dessiner. Toi! Fais-le! -ah non, j’ai pas d’idées. Seul Go se lance, en saisissant le carnet que j’avais désigné comme étant celui d’Apolline. Il dessine un oiseau et écrit son nom en Lao. Apolline est ravie qu’il ait choisi son carnet, les autres boudent un peu. En accord avec les enfants, on leur offre une BD du Petit Poilu ( une BD sans texte d’un auteur belge). De nouveau, Go est le seul qui s’avance pour recevoir le cadeau. Il se penche en avant plusieurs fois en joignant les mains, en signe de remerciement. Il rayonne. Lui et Lin s’éloignent en s’échangeant l’album et en se retournant tous les deux mètres pour nous faire signe, les enfants les saluent en retour jusqu’à la bifurcation qui les dérobe à notre vue.

-On ne les reverra plus jamais, maman?

– Non, nous ne les verrons plus. Nous devons être à la frontière à 17h pour rejoindre PA.

-Ah.

Apolline regarde le dessin de l’oiseau et referme son carnet, en soupirant.

Ce n’est pas notre première rencontre. Il y en a eu tellement d’autres, des rencontres d’un jour, d’une heure, de cinq minutes. Toutes ont laissé une empreinte indélébile. Comme cet homme venu rendre visite à sa fille malade, hospitalisée dans l’hôpital pour enfants à 50 mètres du camion. Il nous a expliqué simplement sa situation et celle de son enfant. Elle a 10 ans et est tellement frêle qu’on aurait peur de la toucher. Elle voudrait simplement faire une photo du camion. Bien entendu. Et répondant à une demande tacite, Vincent le leur fait visiter. La jeune fille sourit. Le père veut prendre une photo de sa fille aux côtés d’Apolline. Je ne peux m’empêcher de penser que la photo doit être jolie avec cette blonde et cette brune de même taille, semblables et différentes. Je me retiens de faire une photo, gravant simplement l’image dans ma mémoire. Le père et la fille s’éloignent. Et il y en a tant d’autres qui m’ont touchée par leur gentillesse, leur simplicité, leur sourire, leur joyeux sa-bai-dee ! Mais le peuple Lao tout entier gardera pour moi le visage de ce jeune garçon.

Il s’appelle Go. Il a 11 ans et porte toujours un petit foulard rouge sur sa tenue d’écolier. Je sais que lorsqu’il repassera tout à l’heure près de l’emplacement que nous occupions, il aura un petit pincement au cœur.

6 thoughts on “Il s’appelle Go”

  1. C’est tellement beau de vous lire…j’imagine le bonheur que vous avez de partager ces moments avec de belles personnes. Vous allez revenir avec des souvenirs incroyables! Bisous à vous tous. PS: Go est vraiment trop mignon…

  2. Émouvant… j espère que cette rencontre ouvrira l horizon de Go ?
    Bonne route et prenez soin de vous !
    Charlotte et Brahim

  3. Contrairement au Petit Prince qui abandonne sa rose pour aller découvrir l’univers, c’est la Rose qui laisse un petit prince sur les bords du Mékong pour parcourir le vaste monde… Merci pour cette belle histoire, si joliment racontée !

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